L’appel pathétique du peuple de France

10/12/2015

Patrick AULNAS

Ils étaient tous là pour la soirée électorale du dimanche 6 décembre 2015. Ils se lamentaient, se récriaient, se justifiaient. Une fois de plus, les invectives et la langue de bois partisane laissaient les téléspectateurs au bord de la sidération. Les politiciens professionnels exerçaient ainsi leur profession comme si rien ne s’était passé. Petites chamailleries entre gauche et droite, petites tractations d’appareils. Se retirer, fusionner ? Puissantes questions que méprise souverainement le peuple. Car le peuple de France s’était quand même exprimé assez clairement. Il venait de lancer un cri de désespoir, un dernier cri avant le basculement dans l’incontrôlable.

 

Les mensonges politiciens

Que signifie l’inexorable montée du Front National depuis des décennies ? La réponse est évidente : le rejet de la classe politique traditionnelle. Si les politiciens qui se partagent le pouvoir national ou local ne font plus recette aujourd’hui, c’est principalement parce qu’ils ont beaucoup parlé et beaucoup menti au lieu de remplir la mission que la population leur confie. Les citoyens se sentent de plus en plus trahi par les discours aseptisés, les acrobaties linguistiques, la phraséologie partisane. Ils attendaient des actes et n’ont obtenu que des promesses toujours répétées et toujours reportées.

 

Réduire le chômage et contrôler l’immigration ?

Le chômage ? Voilà plus de quarante ans que les mensonges succèdent aux mensonges. Le socialiste Pierre Maurois parlait en 1982 de « la crête des deux millions de chômeurs ». Ils sont aujourd’hui 3,6 millions. Tous les politiciens, de droite comme de gauche, ont promis pour être élu de faire du problème une priorité. Belle réussite ! Le Front National promet des emplois qu’il ne créera pas davantage, mais il représente une voix nouvelle n’ayant pas encore trahi.

L’immigration ? Voilà plus de quarante ans que la maîtrise de l’immigration constitue une promesse récurrente. Mais la réalité politique a toujours consisté à régulariser les immigrés clandestins. La régularisation a été à la fois massive (plans de régularisation) et individualisée après une certaine période de séjour en France. Cette récompense accordée à la transgression des lois de la République a toujours été rejetée par la population. Comment s’en étonner ! Les citoyens doivent respecter scrupuleusement la législation mais les étrangers peuvent profiter d’une entrée clandestine dans le pays pour obtenir ensuite des avantages. C’est ainsi que raisonne le peuple. Et tous les discours des philosophes et des économistes ne peuvent rien contre cette logique. Le Front National promet la plus grande rigueur. « Après tout, essayons le Front National ». Cette candeur populaire n’est pas dénuée de panache.

 

Les manœuvres d’appareil

Il serait possible d’égrener sujet par sujet les déceptions accumulées liées aux joutes partisanes : promesses démagogiques contre promesses démagogiques afin de recueillir quelques voix supplémentaires. Inutile. La leçon du dimanche 6 décembre 2015 n’a visiblement pas été comprise, eu égard aux réactions des partis de gouvernement. De médiocres manœuvres d’appareils ont répondu à la semonce populaire. La palme revient encore une fois aux socialistes. Le pilotage présidentiel ne fait aucun doute. L’hôte de l’Élysée ne songe qu’à 2017 et il agit en conséquence. Le retrait des listes socialistes placées en troisième position derrière le Front National et la droite modérée est un chef-d’œuvre d’hypocrisie. François Hollande ne peut qu’en recueillir personnellement les fruits en faisant payer l’addition aux militants et aux candidats qui auront beaucoup travaillé pour rien. Ils n’auront pas un seul siège dans les conseils régionaux. Si le Front National n’arrive pas en tête, les socialistes pourront se prévaloir d’avoir barré la route à l’ogre d’extrême-droite. La droite modérée récupèrera les sièges et aura une dette envers eux. Si la liste Front National arrive en tête, le parti socialiste invoquera l’incapacité de la droite à endiguer la montée de l’extrême-droite. Les socialistes perdent ainsi des sièges dans les conseils régionaux mais pensent gagner un argumentaire irréfutable pour l’avenir, c’est-à-dire la présidentielle de 2017.

 

Ils ne croient plus en rien

La lourde et profonde tristesse du peuple de France repose aussi sur une intuition. Les paroles mensongères des gouvernants ne sont que le symptôme de leur désarroi. Ils ne croient plus en rien et donc ne savent pas où ils vont. Le court terme seul les intéresse, la prochaine élection. Lorsque l’on croit, cela se sent dans le discours ; les idées sont portées par l’émotion et elles vont naturellement toucher ceux qui écoutent. Lorsque l’on ne croit pas, on ennuie ; aucun conseiller en communication ne peut pallier le vice rédhibitoire du cynisme politicien. Le peuple de France entend depuis des lustres les mots sans âme de ses élites sans foi. Sa grande lassitude s’exprime aujourd’hui par un appel pathétique.

 

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