La rémanence idéologique

17/02/2014

Patrick AULNAS

La force d'inertie de certaines formes de pensée est considérable. Les religions et les idéologies en fournissent un exemple. La conférence de presse de François Hollande, le 14 janvier 2014, a confirmé ce que chacun savait déjà : le socialisme est une chimère du passé. Mais il a fallu attendre 2014 pour que le Président de la République parvienne à admettre que politique de l'offre et baisse des dépenses publiques ne sont pas des gros mots. Quand ces dernières atteignent 57% du PIB et continuent à progresser en valeur (mais les politiques raisonnent en tendance pour mieux tromper l'opinion), il peut sembler paradoxal à toute personne un peu raisonnable qu'il soit si difficile de constater un excès. Quand l'inflation législative et réglementaire enserre le tissus économique dans un carcan et que la moindre initiative suppose d'abord de se signaler à une administration, il peut paraître étrange de s'étonner du manque de compétitivité de notre économie.

Tout s'explique si l'on comprend que l'attachement aux idées relève de la croyance plus que de la rationalité. Le socialisme est une vieille idéologie du 19e siècle qui pense les relations sociales en termes de conflit : le capitalisme doit être combattu. L'arme utilisée est un Etat tentaculaire, omniprésent et très puissant financièrement. Le peuple de gauche est encore imprégné de cette vision combative de la vie politique. Un Président de gauche doit donc dissocier le discours de la pratique du pouvoir. Le discours respecte la ligne idéologique. La pratique peut s'en éloigner mais il convient d'être habile.

Il existe ainsi une rémanence idéologique se traduisant par la persistance dans la population de concepts vagues ou de simples croyances. Ce reliquat intellectuel perdure longtemps chez les militants et sympathisants, beaucoup plus longtemps que chez les leaders. Ceux-ci, confrontés aux réalités de la pratique du pouvoir, doivent s'adapter au monde tel qu'il est et abandonner les chimères lorsqu'il est question d'action. Il n'en va pas de même du corps électoral. Le phénomène de rémanence idéologique est probablement accentué par la dégradation du fonctionnement de la démocratie représentative. La médiatisation à outrance de la vie publique conduit à rechercher une adéquation entre l'image des formations politiques et les attentes de leur électorat potentiel. Faire preuve de pédagogie est un suicide politique. Il convient de feindre l'empathie idéologique, jamais d'expliquer la complexité du réel.

Cette schizophrénie politique est ancienne et ne concerne pas seulement la gauche. François Mitterrand était de droite dans sa jeunesse et appartenait sous la IVe République à un petit parti centriste, l'UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance). Sous la Ve République, il devient leader de gauche en s'opposant à De Gaulle et non en faisant profession de foi de socialisme doctrinaire. Pour accéder au pouvoir, les voix communistes lui sont nécessaires. Il conclura donc une alliance avec ce parti en perte de vitesse et sera élu Président de la République en 1981. Il n'est nullement un socialiste dogmatique et son parcours le prouve amplement. Il faudra cependant qu'il mette en œuvre le fameux programme commun de la gauche comportant de multiples nationalisations d'entreprises, une réduction générale du temps de travail et un abaissement général de l'âge de la retraite dans le secteur privé. Ce programme est économiquement absurde puisque la fin des trente glorieuses à partir de 1974 conduit l'Occident de la domination à la compétition économique. Mais l'inertie idéologique est totale à gauche et sans un tel programme, il n'existe aucune chance d'être élu.

Le même phénomène se produit à droite avec la survivance dans le corps électoral de croyances religieuses en contradiction de plus en plus flagrante avec la réalité sociale. L'épisode du  « mariage pour tous », auquel l'archaïsme religieux a répondu par la « manif pour tous » en offre un exemple caricatural. Chacun voit bien, et les leaders de droite ne font pas exception, que le mariage, défini par l'Église comme un sacrement, ne concerne plus qu'une faible partie de la population. Pour une large  majorité, il s'agit d'une union civile pouvant avoir pour certains une dimension spirituelle, mais cela n'a rien de commun avec le dogme théologique. Il n'empêche. Un segment significatif de l'électorat de droite reste bloqué sur la doxa chrétienne et les leaders doivent suivre, tout au moins en paroles.

Les phénomènes de rémanence se résorbent lentement. Il aura fallu des décennies à la gauche dite socialiste pour se défaire des derniers oripeaux du marxisme : après l'abandon de la doctrine des nationalisations et l'acceptation de l'économie de marché, la gauche au pouvoir veut désormais favoriser le dynamisme des entreprises privées et combattre les lourdeurs administratives. Ce ne sont encore que des paroles. Mais les cris d'orfraie des gardiens du temple (Marie-Noëlle Lienemann, Jean-Luc Mélenchon par exemple) montrent clairement qu'un sacrilège a été commis. L'écrasante majorité de la population y voit un progrès.

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