La dette publique, opportunité ou fatalité ?

19/09/2014

Patrick AULNAS

L'un des paradoxes de la situation économique de la planète est l'écrasante dette publique accumulée par les États les plus riches (Japon, États-Unis, Europe). Il était courant par le passé que des nations pauvres (en Afrique, en Amérique latine) se trouvent dans une situation de quasi-faillite nécessitant l'intervention du FMI. Mais les pays riches s'endettaient raisonnablement, principalement pour financer des investissements, sauf dans les périodes de guerre. Pourquoi en trente ou quarante ans, sont-ils passés d'une gestion prudente de leurs finances publiques au laxisme le plus total ? Chacun comprend que la fin de leur domination économique et l'émergence de nouvelles puissances placent les pays riches en situation de concurrence. Il faudrait donc s'activer et faire face. Mais des obstacles existent qui peuvent être présentés comme autant d'interprétations possibles de l'endettement public. En voici une récapitulation.

1. La dette publique, opportunité pour les gouvernements de gauche.

A priori, nul doute que la propension à l'endettement public soit de gauche. La dette permet de financer des prestations sociales (santé, retraite, chômage) qui devraient être plus modestes si les comptes étaient équilibrés. Elle permet aussi de payer à crédit des fonctionnaires de l'État qui n'auraient pas pu être recrutés sans déficit budgétaire. Elle permet enfin de financer des investissements publics qui n'auraient pas eu lieu avec plus de rigueur. La redistribution et l'interventionnisme public étant des marqueurs de gauche, doit-on en conclure que la dette est une opportunité politique saisie par les gouvernements de gauche ? La question reste ouverte.

2. La dette, manœuvre des politiques

Pour les politiques, l'endettement permet de passer outre aux limites budgétaires d'une gestion prudente et sérieuse. Il permet de dépenser sans pour autant augmenter les prélèvements obligatoires, mesure évidemment impopulaire. Voter un budget déficitaire permet de s'accorder plus de capacité d'action et donc plus de pouvoir. Tout se passe comme si l'ensemble de la classe politique agissait de façon tacitement consensuelle : « Nous, femmes et hommes politiques, n'avons pas intérêt à augmenter les impôts et cotisations sociales, augmentons donc la dette pour pouvoir proposer des réalisations nouvelles. Nos successeurs seront en charge de la gestion de cette dette, pas nous ». Autrement dit, après nous le déluge. Les rapports de la Cour des Comptes en France n'ont aucun effet sur les politiques. Pas plus que les mises en garde des instituts et think tanks spécialisés dans le monde entier.

3. La dette, fatalité macro-économique

Le crédit est une technique financière permettant d'obtenir une satisfaction immédiate en payant le prix dans l'avenir. Un créancier n'accorde un crédit que s'il suppose que le débiteur sera apte à rembourser le jour de l'échéance. Le crédit ne peut donc exister qu'avec une vision optimiste du futur. Au niveau micro-économique (un individu, une entreprise), il est possible de cerner assez facilement la situation et de se faire une opinion sur le destin probable du débiteur pendant le délai du crédit. A l'échelle macro-économique, l'exercice devient périlleux et mille exemples montrent que les économistes ne prévoient pas grand-chose au-delà de la conjoncture à six mois. Personne ne se pose vraiment la question de la soutenabilité de l'endettement parce que personne ne croit aux prévisions des macro-économistes. Les prévisions n'étant pas fiables, la tentation est grande de les négliger. Les décideurs peuvent donc en dernier ressort accepter l'antique fatum : nous ne maîtrisons rien puisque l'avenir est une énigme. Qui vivra verra.

4. La dette, lâcheté de peuples repus trompés par des politiciens sans scrupules

Après la phase de croissance économique exceptionnelle des trente années d'après-guerre, la population des pays concernés (les pays riches d'aujourd'hui) s'est habituée à une évolution économique axée sur le toujours plus. Plus de consommation, plus de prestations sociales, plus de services publics (et donc de fonctionnaires), plus de loisirs, etc. Croissance, croissance... Revenir à la raison en considérant les Trente glorieuses comme l'exception est évidemment difficile. Le rêve s'achève et le réveil est douloureux. Mais ne voilà-t-il pas que des responsables de haut niveau susurre à l'oreille des peuples repus qu'il est possible de prolonger le rêve : il suffit de payer à crédit. Soulagement ! Tout est donc simple : le rêve à crédit existe ! Mitterrand est un de ces prophètes du bonheur à crédit (retraite à 60 ans pour tous, abaissement généralisé de la durée du travail), Clinton en est un autre (promesse de propriété immobilière pour tous... puis crise des subprimes).

En combinant ces interprétations, et d'autres encore sans doute, on peut se faire une idée de la situation inextricable dans laquelle nous sommes plongés... et de l'énorme défi que représente la solution, si elle existe.

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